Otan: l’entrée de la Suède et de la Finlande bouleverse les équilibres en Arctique

Lignes de défense

10-03-2024 • 2 minutes

La Suède est devenue le 32e membre de l'Alliance atlantique. Stockholm, désireuse de rejoindre l'Alliance atlantique depuis l'invasion russe de l'Ukraine il y a deux ans, a rompu, tout comme la Finlande, avec une politique de neutralité et de non-alignement militaire depuis la fin de la Guerre froide. L’entrée de ces deux pays nordiques dans l’Otan risque de bouleverser les équilibres en Arctique. Entretien avec Mikaa Mered, spécialiste des enjeux géoéconomiques et stratégiques de l'Arctique et de l'Antarctique.

RFI : Mikaa Mered, est-ce que l'entrée dans l’Otan de la Finlande et de la Suède change complètement la donne, face à la Russie et comment la Russie peut-elle réagir ?

Ça change la donne de plusieurs manières. La première, c'est tout simplement déjà dire que parmi les huit pays de l'Arctique, les huit pays riverains, donc, du Grand Nord, avant, on avait cinq pays qui étaient effectivement dans l'Otan. On avait la Russie de l'autre côté. Et puis, on avait entre les deux, la Finlande et la Suède, qui jouaient un peu ce rôle de tampon, qui menaient un certain nombre d'exercices avec l'Otan, mais plus comme observateur ou autre.

Évidemment, on avait quand même des correspondances et des relations. Mais là, on va passer dans un cadre inédit en Arctique, à sept contre un. Très clairement, tous les pays de l'Arctique sont coalisés contre la Russie dans une certaine mesure, ou en tout cas sont coalisés au sein de l'Alliance atlantique. Ça, c'est le premier point. Et c'est un environnement complètement nouveau puisque, même du temps de la guerre froide – ou même avant – on n'avait pas ce genre de configuration en Arctique.

Le deuxième sujet, c'est que, après des siècles de tentatives de construction eurasienne et européenne avec la Russie, Moscou s’est tourné, à la faveur des récents événements, vers la Chine. Or, la Chine s’est déclarée être un pays dit « du Proche Arctique ». Ils ont inventé ce concept dès 2018, bien avant la nouvelle guerre en Ukraine. La Chine cherche évidemment à prendre de plus en plus pied en Arctique. Donc la question qui va se poser par rapport à ça, maintenant que la Russie et la Chine ont cette alliance, qui, de fait, se renforce à la faveur de ce qui se passe sur le front européen, et de savoir quelle place les Russes vont laisser à la Chine en Arctique. C'est là pour moi que va se situer le cœur du sujet dans les dix années qui viennent.

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Les Russes ont-ils les moyens, justement, de repositionner des forces militaires dans le Grand Nord, alors qu'ils sont occupés ailleurs, en Ukraine ?

C'est l'un des sujets, c'est-à-dire qu'on attend évidemment toute déclaration de Moscou. Comme si ce qui se passait sur le front européen d'un point de vue militaire, ou ce qui se passait d'un point de vue économique également, n'impactait pas du tout l'Arctique, au sens où la Russie indique qu’elle va continuer à investir sur sa flotte en Arctique, sur ses moyens militaires au sens, cette fois-ci, des infrastructures, des bases, des équipements aériens et d'observation. Continuer à investir comme si de rien n'était. Comme s'il n’y avait pas un gouffre financier qui attirait beaucoup de capitaux d'État vers le front ukrainien et au-delà.

Et puis, le deuxième sujet, c'est le volet économique. C'est-à-dire qu'on entend la Russie dire que la route maritime du Nord, cette route maritime qui pourrait connecter l'océan Pacifique à l'océan Atlantique par l'Arctique – des alternatives potentielles à d'éventuels blocages du canal de Suez ou de la mer Rouge. On entend le gouvernement russe continuer à dire : « bien sûr que le modèle économique de cette route du Nord est tout à fait valide. Il va continuer à se développer. Nous allons continuer à investir ». Bref, c'est comme s’il ne se passait rien.

La réalité, c'est qu’aujourd'hui, si la Russie peut tenir ces discours-là, ce n'est pas qu'elle en a les moyens, mais c'est qu'elle a réussi à coaliser un certain nombre de partenaires qui aujourd'hui lui disent : « tu veux continuer à préserver ton pré carré en Arctique ? Tu vas avoir besoin de nous ». Et évidemment, le principal allié, c'est la Chine.

La Chine, est-ce le loup dans la bergerie russe ?

C'est la crainte à Moscou, et c'est une crainte de longue date. On se souvient par exemple en 2011, quand le gouvernement russe avait expliqué qu'il fallait créer une « route de la soie » par l'Arctique. À l'époque, ce concept-là venait d'eux, et pas de la Chine. Ils avaient justement émis un certain nombre de réserves quant à la possibilité de donner une trop grande place à Pékin, sur le volet économique, mais aussi sur le volet militaire, dans cette zone Arctique. Il ne voulait pas laisser le loup, ou plutôt le panda dirons-nous, entrer dans cette bergerie. Et c’est pourtant ce qui s’est passé après la première Guerre en Ukraine en 2014. Il y a eu toute une dynamique de coopération, y compris militaire, en zone Arctique qui existait entre la Russie et les États-Unis et ses alliés, qui a été relativement abîmée.

Puis, vous avez cette deuxième guerre en Ukraine qui arrive en 2022. Et là, évidemment, c'est le coup de grâce car, au moment où les Russes attaquent l'Ukraine, Moscou assure la présidence tournante du Conseil de l'Arctique, chargée de faire vivre cette diplomatie arctique. Tout cela vole en éclat et se retrouve à terre et donc, le seul partenaire véritable qui est capable de s'engager militairement dans cette zone pour aider la Russie, c'est la Chine. Or, depuis plus de dix ans, c’était justement la crainte des Russes. La crainte de devenir un partenaire junior dans la relation bilatérale avec la Chine. Or, si Vladimir Poutine en personne incarne cette remilitarisation partielle de l'Arctique, fondamentalement, cela ne veut pas dire que la Russie entend laisser la Chine devenir le senior partenaire. Dans cette relation aujourd'hui, je ne vois pas comment à l'horizon 2025, à l'horizon 2030, la Russie pourra empêcher la Chine de devenir un partenaire au moins d'égal à égal avec la Russie dans sa zone Arctique. Et ça, il va falloir le gérer, car les Américains et l'Otan ne laisseront évidemment pas faire. Mais il faudra gérer ça aussi vis-à-vis de la population russe, qui ne comprendra pas pourquoi on a laissé la Chine entrer dans l'Arctique russe, dans le jardin, dans le joyau de la couronne.

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Ces déséquilibres en Arctique ont-ils des répercussions de l'autre côté du globe, en Antarctique ?

Oui, on commence à observer de nouvelles rivalités. En plus de l'émergence de la Chine qui, dans les années 2010, faisait déjà un petit peu office d'épouvantail pour beaucoup de pays occidentaux dans ce jeu antarctique, ce qu'on observe dès 2020, indépendamment de la deuxième guerre en Ukraine, on a vu la Russie reprendre pied en Antarctique en menant à nouveau des campagnes d'exploration à la recherche d’hydrocarbures.

Dans le sillage russe, la Chine, l'Iran, la Turquie, se sont montrés intéressés par l’Antarctique. Développant des narratifs de plus en plus agressifs, disant « nous allons prendre pied en Antarctique. L'Antarctique est une zone stratégique. L'Antarctique ne peut pas être un syndic de copropriété géré par les puissances historiques de de cette zone ». Et effectivement, on a vu la Chine construire une cinquième base en Antarctique. Et ce, sans respecter les us et coutumes traditionnels de la diplomatie Antarctique. Aujourd'hui, l'Australie et la Nouvelle-Zélande manifestent une inquiétude et ces deux pays s’interrogent : « est-ce que la Chine n'est pas au Sud en train d'essayer de créer un nouveau front ? Alors pas un front militaire, mais en tout cas un front de renseignement et de captation de signaux électroniques ? ».

On a vu l'Iran, très récemment, parler de militarisation ou d'activités militaires en Antarctique. Là, on est dans le même type de logique. On a vu la Turquie parler de présence en Antarctique comme étant un vecteur de prestige national important. Et oui, on peut faire une connexion avec ce qui se passe en Arctique, car de fait, si vous arrivez à maîtriser un environnement aussi difficile que l'Arctique, les correspondances sont tout à fait imaginables. Et la légitimité arctique de certains États est effectivement renforcée par une présence antarctique. C'est le cas par exemple de la France, où exister en Arctique permet d'exister en Antarctique. Et, il y a surtout des États qui sont prêts à jouer ces deux cartes, la carte arctique et la carte antarctique. Parce que les deux se répondent, d'un point de vue maîtrise de l'environnement, connaissance de l'environnement opératif, la mise en œuvre de brise-glace lourds. Au-delà de la maîtrise de l'environnement, il y a aussi la maîtrise de l'information. C'est-à-dire que, si vous voulez développer des constellations satellitaires qui permettent d'observer ce qui se passe en Arctique, vous allez mettre en œuvre des constellations de satellites d'observation en orbite polaire Nord-Sud. Et, à ce moment-là, évidemment, ce que vous pouvez faire en Arctique vous donne des capacités d'observation en Antarctique.

À quelle échéance des frictions, peut-être même des affrontements sont-ils envisageables dans ces régions jusque-là désertiques ?

Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que personne, ni dans la communauté diplomatique, ni dans la communauté académique universitaire, n'envisage une guerre en Arctique pour l'Arctique. Personne encore moins n'envisage de conflits en Antarctique pour l'Antarctique. En fait, ce qu'on est en train d'observer, c'est la fin de l’exceptionnalisme arctique. Ce que j'entends par exceptionnalisme, c'est un concept simple qui veut dire que, jusqu'à maintenant, l'Arctique et l'Antarctique ont été relativement éloignés des grandes logiques de conflits. Jusqu’en 2022, l'Arctique a su maintenir une forme de coopération. Depuis la deuxième guerre en Ukraine, la situation est différente. La Russie a été de facto exclue du Conseil de l'Arctique. En Arctique, aujourd'hui, le dialogue de gouvernement à gouvernement n'est pas possible. Depuis 2022, on a vu les États-Unis redévelopper des infrastructures militaires fortes en Arctique. Pour, justement, essayer de dissuader la Russie et peut-être la Chine, de militariser ces régions polaires.

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