Le char de combat, le fer-de-lance de l'armée israélienne

Lignes de défense

24-12-2023 • 2 minutes

Dans la bande Gaza, le déploiement de l'infanterie israélienne est systématiquement appuyé par les chars de combat Merkava. Les États-Unis ont d'ailleurs approuvé « d'urgence » la vente à Israël de près de 14 000 obus équipant ces blindés lourds.

Jamais depuis la création d’Israël, les forces armées de l’État hébreu n’ont conçu une opération sans chars de combat. Le Merkava aujourd’hui de 5e génération, fabriqué à plusieurs centaines d’unités est depuis le 7 octobre dernier, le fer-de-lance de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, souligne Marc Chassillan spécialiste des blindés.

« Quel que soit l’ennemi, quel que soit le terrain et quelles que soient les circonstances, l’armée israélienne déploie des chars, ça fait partie de leur corpus doctrinal », explique-t-il. « Les chars sont quasiment une deuxième religion après le judaïsme en Israël. C’est un objet de vénération et c’est un objet de perfectionnement et d’investissement constant et continu, depuis 50 ans. On peut trouver curieux ou inapproprié l’engagement de chars dans les zones urbaines, mais ce n’est pas l’apanage de l’armée israélienne, toutes les armées du monde depuis le début de l’utilisation des chars ont employé les chars en zone urbaine. »

Les chariots de feu de l’armée israélienne

De par sa géographie, et les contraintes pesant sur l’armée d’un pays de moins de 10 millions d’habitants et seulement 22 000 km2, le développement de la cavalerie israélienne a suivi un schéma assez singulier. Quand dans les années 1970-1980, les Occidentaux penchaient pour une stratégie basée sur l’avance technologique et la rapidité d’action avec une forte intégration des moyens, terrestres, aériens, et maritimes, l’armée israélienne a eu une approche moins novatrice et très pragmatique.

Pour bien comprendre la genèse du Merkava, il convient de rappeler deux points importants. Tout d’abord, Israël a toujours connu un état de belligérance, plus ou moins marqué, avec ces voisins arabes. Cela s’est traduit par des escarmouches régulières, une guerre d’usure, ou des conflits de haute intensité sur des durées plus ou moins longues. Deuxième point, il suffit pour s’en convaincre de regarder une carte- dans le domaine de la géographie physique, Israël n’a pas de profondeur stratégique.

Cela ne veut pas dire que l’armée israélienne ne manœuvre pas (elle l’a prouvé dans le Sinaï, et sur les hauteurs du Golan, particulièrement en 1973 et surtout lors de la guerre éclair de 1967), mais cela a conduit à une utilisation plus « défensive » de l’armée blindée de cavalerie par rapport à ce qu’on peut connaître ailleurs. Si le char reste une arme dite de « mêlée », les stratèges israéliens ont toujours gardé en tête l’infériorité numérique – en hommes et en matériels – de leur armée vis-à-vis des forces terrestres arabes, mais aussi le fait qu’ils pourraient bénéficier assez rapidement de la maîtrise du ciel au-dessus du champ de bataille. Pour schématiser, le char n’est donc pas déterminant pour l’emporter, mais en revanche il constitue un rempart, et/ou un outil capable de repousser l’adversaire loin des frontières. C’est en partie cette philosophie qui a conduit au dessin du premier Merkava au milieu des années 1970.

Un tank conçu dans l’urgence

Petit rappel historique. Israël a longtemps utilisé des chars britanniques et américains, Centurion ou Patton. Après la guerre des Six Jours en 1967, la France et le Royaume-Uni ont décrété des embargos sur les armes à destination d’Israël. L’industrie israélienne en a été réduite à modifier quelques vieux tanks (remotorisation et adaptation de canons), et à passer commande de qui était alors disponible et autorisé à l’exportation par les États-Unis. Israël se lança même dans le rééquipement de vieux chars d’origine soviétique T-54 capturés à l’ennemi.

Ceci étant, il restait encore un pas important à franchir pour concevoir un char de fabrication nationale. Afin de contourner les embargos internationaux, et prenant en compte les limites de sa propre industrie de défense, Israël se tourna alors vers l’Afrique du Sud, pour se procurer les aciers nécessaires à la fabrication du blindage (de 20 mm d’acier à 300 mm de matériaux composites selon les versions et les éléments à protéger comme la tourelle). Pour le reste, Israël se débrouilla, pour acheter, copier, ou produire des éléments et des pièces détachées déjà utilisés à l’étranger. Ce fut le cas entre autres de la motorisation, des chenilles, de la transmission ou de la suspension des premiers Merkava. Suivant le même schéma, dans le secteur aéronautique, les Mirages III et V d’origine française furent progressivement transformés en Nesher, et Kfir assemblés et produits en Israël.

Les sapeurs et leurs chars

Le pion tactique de l’armée israélienne à l’œuvre à Gaza est composé d’un binôme infanterie-sapeurs du génie, protégés par les tanks, mais la pointe de la flèche, insiste Marc Chassillan se sont les sapeurs et leurs chars.

« Les sapeurs du génie sont finalement quasiment quelquefois les éléments précurseurs dans certaines zones de Gaza. C’est d’abord le génie d’assaut, donc appuyé par les chars et protégé par l’infanterie qui se charge d’ouvrir ce qu’on appelle les itinéraires », indique-t-il. « Ils disposent pour ça de bulldozer Caterpillar D9 sûr blindé. Ils ont aussi des engins qu’on appelle les Pumas, qui sont en fait des châssis de chars qui ont été détourellés et qui ont été couverts de blindage et qui abritent une équipe de sapeurs d’assaut avec un certain nombre de matériels et d’outils pour en fait percer les murs, ouvrir les portes, dégager les obstacles, déminer… Le rôle des sapeurs du génie est absolument essentiel. »

30 à 40 blindés détruits

Mais avec leur masse de 70 tonnes, les Merkava peinent à manœuvrer dans un environnement urbain. Ils ne voient pas grand-chose non plus de leur environnement immédiat et sont par conséquent vulnérables à courte distance aux tirs de missiles antichars et les pertes s’accumulent :« Depuis le 7 octobre, ils auraient perdu entre 30 et 40 blindés, mais tous types confondus, il n’y a pas que des chars de combat », dit Marc Chassillan, « Il y a aussi des véhicules de transport de troupes, il y a des engins du génie et un peu de tout sachant que le 7 octobre ils en ont perdu beaucoup puisque quand le Hamas a attaqué le 7 octobre, ils ont en particulier pris une caserne qui se trouvait à l’entrée nord de la bande de Gaza. C’est en fait la caserne qui garde un peu les portes d’entrée vers Gaza, et ils ont saboté, détruit beaucoup de véhicules qui étaient sur les parkings. »

Le Merkava au combat

Si le Merkava est devenu au fil du temps, un char « iconique », il faut garder en tête que la saga du tank israélien s’est écrite au fil de temps, et que même si le nom a été conservé, le Merkava I, n’a plus grand-chose à voir en termes de performances avec le Merkava V en cours d’introduction dans l’armée israélienne.

Dès 1982 Israël a perdu ses premiers Merkava au combat au Liban. Ce très lourd char de combat découvre les difficultés du combat en milieu urbain, mais enregistre aussi des succès contre des chars d’origine soviétiques employés par les Syriens. Ceci étant à l’époque, le fleuron de la cavalerie israélienne vient tout juste d’entrer en service et pour l’essentiel ce sont des tanks plus anciens qui sont déployés. Au fil des engagements, le Merkava va se forger une réputation de quasi-invincibilité, jusqu’à la guerre de 2006 contre le Hezbollah ou l’armée israélienne va enregistrer de lourdes pertes. Sur le plan technique : « Le Merkava était réputé être l’un des meilleurs au monde […], mais 52 d’entre eux (33 Mk2/3, 19 Mk4) ont été mis hors de combat par les tirs de missiles antichars et 3 autres détruits par des mines artisanales IED », peut-on lire dans un rapport cité par l’IFRI après la guerre.

À l’époque on a beaucoup dit que le char était mal protégé sur la partie arrière, mais en réalité, cette faiblesse était connue depuis longtemps, et c’est surtout la tactique du mouvement armée chiite libanais combiné à l’emploi en masse, de missiles anti-char modernes qui a porté ses fruits. Les dernières vidéos, du Hamas publié à Gaza en 2023, prouvent d’ailleurs qu’à leur tour, les miliciens du Hamas tentent d’utiliser les mêmes techniques, allant jusqu’à déposer des charges « à la main » sous les tourelles des chars israéliens.

Ceci étant, il semble que de nombreux projectiles employés par le Hamas soient d’origine artisanale, fabriqués localement dans la bande de Gaza. Ils n’auraient donc pas la même efficacité que des ATGM modernes industrialisés comme les Kornet (code OTAN : AT-14) d’origine russe, mais produits sous licence en Iran. On a pu s’étonner aussi de voir les Merkava dépourvus de blindages réactifs, remplacés en partie par le système de protection active (APS) « Trophy » destiné à barrer la route aux projectiles adverses en les détruisant avant l’impact.

À l’épreuve dans la bande de Gaza

Au début du conflit, on a pu s’étonner de voir très peu de fantassins israéliens « débarqués », laissant les tireurs du Hamas se rapprocher très près des blindés. De petites charges ont également été larguées par drones du Hamas, sur les tanks israéliens, sans – semble-t-il – inquiéter les équipages placés sous blindage.

Toutefois des grilles anti-drone monté au-dessus de la tourelle ont fait leur apparition. On peut penser qu’elles servent à protéger les équipements de visée montés sur la partie haute, ou un soldat qui s’exposerait en utilisant la mitrailleuse de 7,62 montée sur le toit. Il est évident enfin qu’en milieu urbain, la vitesse de pointe n’est plus déterminante (64 km/h pour la version IV en rase-campagne), là où la protection particulièrement des tirs venant du haut (depuis les immeubles) ou des charges artisanales (IED) enfouies dans le sol le devient… Historiquement on a toujours admis que les Merkava étaient sous-motorisés (1500 chevaux pour la version IV). À ce niveau on a souvent lu que l’emplacement du moteur à l’avant, si caractéristique sur le Merkava était un élément de protection majeur. Cela est vrai en cas de combat en face à face, mais beaucoup moins contre des éléments de guérilla très mobiles qui peuvent surgir dans tous les secteurs.

Pour conclure, on pourrait dire qu’Israël a conçu le Merkava « sur mesure ». Au départ c’était une solution par défaut qui, petit à petit, a intégré de nombreuses innovations liées à l’environnement dans lequel ces machines doivent être employées. Exemple éclairant, Israël n’hésite pas à « embosser » ses chars comme disent les militaires. C’est-à-dire les utiliser en positions statiques derrière un remblai lors de longue phase d’observation des lignes adverses. L’écoutille placée à l’arrière trouve là, son utilité. Elle permet de recharger sans s’exposer pour faire passer les obus. Contrairement à une idée communément répandue, elle ne sert pas à faire monter des fantassins à bord (à l’exception des Merkavas modifiés pour les sapeurs du génie). Un blessé en position horizontale pourrait toutefois passer par cette ouverture, à condition de lui faire de la place au milieu du chargement d’obus.