Un bougon en formation

Monde sensible

21-02-2023 • 11 minutes

Lors d'une formation à l’Ecoute Active de deux jours, un participant montrait des signes d'opposition et de résistance. À chaque proposition d’activité, il affichait ouvertement son agacement. Alors, je l’invitais à exprimer son point de vue, et une fois terminé, je m’en remettais au groupe. Spontanément, les participants remarquaient : « En fait, vous dites la même chose, mais de manière différente. » Mon objectif n’était pas d’avoir raison, d’entrer dans ce jeu de pouvoir qui m’était – consciemment, ou non – proposé. Mais de comprendre ce qui engendrait chez lui cette résistance. En tant que formatrice, je suis payée pour créer les conditions propices à l’apprentissage. Ces conditions composent le cadre relationnel, ou cadre de fonctionnement commun. Si nous sommes tous ici ensemble, nous formons un Tout, le temps de notre rencontre. Et nous en sommes tous responsables. Comment chacun peut-il respecter ce Tout relationnel, de sorte que le Tout nourrisse les attentes de chacun, dans le respect du cadre global de la formation ? L’autre point complémentaire, est le travail d’exploration des attentes et non-attentes de chacun vis-à-vis de la formation. Au sein du cadre relationnel co-défini, chacun doit définir ou redéfinir le sens de sa présence : « Que puis-je retirer de ces deux journées, au-delà des méthodes et des outils ? » Il est une autre phase délicate de responsabilisation et d’appropriation par l’ensemble des stagiaires. Dans le cas de Didier, je n’avais pas creusé suffisamment tôt les signaux de non adhésion au processus d’appropriation. Je terminai donc la première journée de formation à l’Ecoute Active avec le sentiment de ne pas avoir réussi à intégrer notre bougon. Je me suis donnée pour objectif de remonter le lendemain à la cause de cette tension. Le lendemain, j’étais prête à bondir. J’ai invité les participants à se lever pour une inclusion à base d’improvisation et de lâcher-prise. Il a soufflé. Alors, j’ai relevé : « Tu souffles, Didier ? » - « Non, mais c’est bon, vas-y… », m’a-t-il répondu. – « Je n’ai pas envie d’y aller, non. J’aimerais bien savoir pourquoi tu souffles. » La tension était palpable. Il a rétorqué : « Non mais c’est bon, fais ton truc… » J’ai fait un pas en avant dans le cercle, face à lui. A l’intérieur, je ressentais le nœud de tension à son paroxysme. Alors j’ai exposé les faits ; j’ai exprimé mes émotions et mes ressentis, et j’y suis allée à fond. Au point d’avoir les larmes aux yeux, parce que j’étais profondément touchée par son comportement et ce que j’en percevais. Je me suis exprimée de manière spontanée : ça sortait du cœur. J’étais triste pour lui, en fait. De le voir enfermé dans ses résistances… quel gâchis. J’ai terminé par un : « Tu pourrais être une mine d’or pour nous tous, Didier. » J’avais clairement plombé l’ambiance. Mais à ce moment-là, il a levé les yeux et m’a regardée. lui parlais à partir de mon cœur, ici et maintenant. Et visiblement, mes mots se sont frayé un chemin jusqu’au sien, et ont ouvert une brèche, enfin. Il a répondu qu’il ne pensait pas que son comportement pouvait avoir un impact sur le groupe. Qu’il n’avait rien contre moi, mais qu’il n’avait pas demandé à faire cette formation. Qu’il était à 3 ans de la retraite, et qu’il n’avait pas besoin d’Ecoute Active… Il était donc là, son point sensible : une formation « obligatoire », ok, mais surtout dans une promo de « jeuns », à deux pas de la retraite… avec tout ce que cela implique en termes de changements dans une vie… en termes de deuils. Ceci dit, l’abcès était percé. A partir de ce moment-là, Didier s’est impliqué dans les mises en situations qui composaient le cœur de cette seconde journée. Il débriefait les mises en situations, au point que je n’avais parfois plus rien à ajouter. Bref, il occupait enfin sa place, au service du Tout, de chacun et de lui-même. Il était enfin reconnu par ses pairs comme un expert ; car l’âge et l’expérience n’ont décidément pas de prix.