Monde sensible

Magali Flesia

Je m'appelle Magali Flesia, je suis coach et superviseur. Ce podcast s’adresse aux professionnels de l’accompagnement qui souhaitent découvrir une manière parmi d’autres d’utiliser les techniques de l’improvisation appliquées au coaching, à la supervision, à la formation et à l’animation d’ateliers de cohésion en entreprise. Il a pour vocation de valoriser les approches "tête-coeur-corps", et de réhabiliter sensibilité et intuition dans le domaine professionnel. J'espère qu'il permettra aussi de mieux faire connaître nos métiers, parfois perçus comme "opaques". Bonne écoute ! read less

Des outils et des Hommes
Il y a 1 semaine
Des outils et des Hommes
J'animais une formation de deux jours à destination d’un groupe de formateurs à qui j’avais pour mission de transmettre quelques outils du théâtre d’improvisation pour qu'ils puissent créer leurs propres modules de formation et leurs propres activités à partir de ces mêmes outils. Un participant a très vite déclaré qu’il souhaitait utiliser le théâtre d’improvisation dans ses formations, mais que s’il fallait faire du théâtre ou improviser, il ne participerait pas, car il n’aimait pas se donner en public. J’ai exprimé mes doutes quant à la pertinence de vouloir utiliser le théâtre d’improvisation en tant que formateur, sans jamais s’y être lui-même confronté. Il a rétorqué qu’il faisait déjà faire des exercices de mise en situation aux personnes qu’il formait, et qu’il n’avait aucun problème avec ça. « Bien sûr… », ai-je répondu, « … faire faire aux autres, ce n’est pas un problème. Mais toucher au cœur d’une discipline, et en retirer toute l’essence, pour accompagner l’autre dans sa propre exploration, il me semble que c’est différent. » Pendant deux jours, celui que j’appellerai Etienne, a joué et ri à gorge déployée. Il a effectué toutes les activités proposées sans sourciller, et s’est progressivement approprié les outils et méthodes que je leur présentais. Le débriefing final a confirmé qu’il s’était régalé : il avait le sentiment de s’être dépassé lui-même, d’avoir compris l’intérêt de vivre avant même de faire-vivre, et se sentait prêt à transmettre ce qu’il avait appris. Je pense que l’outil n’est qu’un support. Souvent, combien de sollicitations de coachs, formateurs, et facilitateurs à la recherche d’un exercice, d’un jeu, d’une activité à utiliser en guise d’icebreaker ou d’inclusion, par exemple ? Comme s’il fallait varier, innover sans cesse, surprendre… Parce que le monde tourne vite autour de nous, il nous apprend que les gens se lassent, que la nouveauté fait vendre, que c’est génial de se diversifier, encore et encore. Peut-être même que certains accompagnants nourrissent la croyance qu’ils doivent se démarquer, et que c’est grâce à l’outil qu’ils feront la différence ? Parfois, si l’on interroge le professionnel de l’accompagnement, on se rendra compte que cette chasse à l’outil parle de lui, certes, mais aussi du système de son client. Que la demande de varier les approches et les contenus soit explicite ou non, il est encore question ici de notre croyance que c’est le contenu qui fait l’intérêt. Or, le contenu d’une formation est selon moi un support qui va permettre d’identifier des besoins précis. J’aime l’idée d’utiliser l’outil comme une invitation à explorer nos systèmes à un instant donné. Il est peut-être de notre devoir à nous, professionnels de l’accompagnement, de ne pas faire de nos outils des produits de consommation supplémentaires. De les considérer comme des excuses pour arrêter le temps et cette course infernale au faire qui happe nos organisations. D’oser parfois ne pas en utiliser, peut-être, pour laisser juste émerger ce qui est : le vide face au non-outil, l’impression de perdre son temps dans la non-fabrication, le malaise dans la relation… tout autant de phénomènes qui parlent de chacun d’entre nous, certes, mais aussi de l’immense siphon dans lesquels nous évoluons, et de notre difficulté à juste être et ressentir l’instant sans attente de faire plus que d’être vivants.
Des processus bien parallèles
07-03-2023
Des processus bien parallèles
Un jour, l'une des coachs que je supervise m’avait confié son souhait de réfléchir à une activité créative à proposer à l’un de ses clients pour débloquer l’accompagnement. Nous avons d’abord échangé sur les hypothèses des origines de ce blocage. Au bout de quelques minutes, nous sommes arrivées à l’impasse, c’est-à-dire au point de résistance que nous touchions par reflet systémique. Alors je décidais de sortir à tout prix de la bouteille à mouches, peu importe mon choix : le mouvement apporté par le processus parallèle que je m’apprêtais à déclencher serait de toute manière matière à découvertes et à apprentissages. Mon goût pour le lâcher-prise m’aide bien souvent à sauter sans savoir où je vais atterrir. J’aime m’abandonner à la confiance qu’ensemble, entre pairs, nous découvrirons des réponses, quelles qu’elles soient. Qu’il nous suffit de modifier quelque chose au niveau de l’énergie de l’instant pour obtenir un résultat différent, ô combien éclairant. Je l’ai invitée à désigner des objets dans la pièce, et à les nommer en décalé. Dès le premier passage, elle a brillamment réussi. En même temps qu’elle avait joué, mille questions avaient traversé mon esprit. Je lui ai demandé comment elle avait vécu l’expérience, et l'ai invitée à faire des liens avec le cas qu'elle venait d'évoquer. Elle a exprimé le manque de confiance qu’elle percevait chez son client. Et que le simple fait d’avoir joué, lui avait donné l’envie de partager un moment différent avec lui. Alors je lui ai fait part de mes doutes, des questions qui m’avaient traversé l’esprit pendant qu’elle réalisait l’exercice. Et nous avons analysé, à travers les processus parallèles émergents, les points qui nous semblaient importants. L’espace de supervision, en tant qu’échantillon du système du cas client, offre la possibilité d’influer sur ce dernier à travers la puissance d’action retrouvée par le coach. Un jeu inspiré des exercices que nous utilisons en théâtre d’improvisation pour développer les compétences de l’adaptabilité et du lâcher-prise, m’a permis ce jour-là de débloquer par reflet systémique l’énergie coincée en coaching. Mais il m’arrive de proposer d’autres types de « cassures », d’autres portes d’exploration. L’outil n’est qu’une proposition qui mène au point Juste du système dont il est le précieux échantillon, le temps du travail en supervision, coaching ou formation. Il n'a d’intérêt que s’il nous permet d’accéder aux processus en œuvre dans les situations explorées. Les processus parallèles, sont systématiques en supervision, et montrent souvent le bout de leur nez bien avant chaque séance. J’aime capter ces reflets, parce qu’ils sont des informations précieuses sur le Tout des relations et situations que je m'apprête à explorer. J’aime imaginer que notre monde est un hologramme géant, composé d’une infinité de parties, dans lesquelles se reflète ce Tout ; chaque partie se reflétant donc dans chacune des autres parties. Si l’on apprenait aux enfants à goûter la réalité à partir de leurs sens, en tant que petits échantillons aiguisés, alors ils pourraient apprendre à s’émerveiller du vécu de l’autre, aussi visible que dans un miroir et aussi perceptible qu’une caresse. Seulement voilà. On nous apprend dès petits à exister en tant que partie dissociée de cet immense hologramme qu’est le Vivant. Parce que nous sommes tous uniques, différents, nous croyons très tôt que nous sommes nous, et que les autres sont eux, et que les émotions des autres leur appartiennent totalement. Nous restons à distance, nous observons et nous jugeons. Or, chaque individu nous dit quelque chose du système que nous formons à l’instant T. Il dit quelque chose de lui, de nous, et donc de moi. Cette triple lecture du monde me semble aujourd’hui indispensable, à chaque instant. Elle donne de la valeur aux choses et aux êtres, à la fois spécifiques, particuliers, et tellement proches.
Un bougon en formation
21-02-2023
Un bougon en formation
Lors d'une formation à l’Ecoute Active de deux jours, un participant montrait des signes d'opposition et de résistance. À chaque proposition d’activité, il affichait ouvertement son agacement. Alors, je l’invitais à exprimer son point de vue, et une fois terminé, je m’en remettais au groupe. Spontanément, les participants remarquaient : « En fait, vous dites la même chose, mais de manière différente. » Mon objectif n’était pas d’avoir raison, d’entrer dans ce jeu de pouvoir qui m’était – consciemment, ou non – proposé. Mais de comprendre ce qui engendrait chez lui cette résistance. En tant que formatrice, je suis payée pour créer les conditions propices à l’apprentissage. Ces conditions composent le cadre relationnel, ou cadre de fonctionnement commun. Si nous sommes tous ici ensemble, nous formons un Tout, le temps de notre rencontre. Et nous en sommes tous responsables. Comment chacun peut-il respecter ce Tout relationnel, de sorte que le Tout nourrisse les attentes de chacun, dans le respect du cadre global de la formation ? L’autre point complémentaire, est le travail d’exploration des attentes et non-attentes de chacun vis-à-vis de la formation. Au sein du cadre relationnel co-défini, chacun doit définir ou redéfinir le sens de sa présence : « Que puis-je retirer de ces deux journées, au-delà des méthodes et des outils ? » Il est une autre phase délicate de responsabilisation et d’appropriation par l’ensemble des stagiaires. Dans le cas de Didier, je n’avais pas creusé suffisamment tôt les signaux de non adhésion au processus d’appropriation. Je terminai donc la première journée de formation à l’Ecoute Active avec le sentiment de ne pas avoir réussi à intégrer notre bougon. Je me suis donnée pour objectif de remonter le lendemain à la cause de cette tension. Le lendemain, j’étais prête à bondir. J’ai invité les participants à se lever pour une inclusion à base d’improvisation et de lâcher-prise. Il a soufflé. Alors, j’ai relevé : « Tu souffles, Didier ? » - « Non, mais c’est bon, vas-y… », m’a-t-il répondu. – « Je n’ai pas envie d’y aller, non. J’aimerais bien savoir pourquoi tu souffles. » La tension était palpable. Il a rétorqué : « Non mais c’est bon, fais ton truc… » J’ai fait un pas en avant dans le cercle, face à lui. A l’intérieur, je ressentais le nœud de tension à son paroxysme. Alors j’ai exposé les faits ; j’ai exprimé mes émotions et mes ressentis, et j’y suis allée à fond. Au point d’avoir les larmes aux yeux, parce que j’étais profondément touchée par son comportement et ce que j’en percevais. Je me suis exprimée de manière spontanée : ça sortait du cœur. J’étais triste pour lui, en fait. De le voir enfermé dans ses résistances… quel gâchis. J’ai terminé par un : « Tu pourrais être une mine d’or pour nous tous, Didier. » J’avais clairement plombé l’ambiance. Mais à ce moment-là, il a levé les yeux et m’a regardée. lui parlais à partir de mon cœur, ici et maintenant. Et visiblement, mes mots se sont frayé un chemin jusqu’au sien, et ont ouvert une brèche, enfin. Il a répondu qu’il ne pensait pas que son comportement pouvait avoir un impact sur le groupe. Qu’il n’avait rien contre moi, mais qu’il n’avait pas demandé à faire cette formation. Qu’il était à 3 ans de la retraite, et qu’il n’avait pas besoin d’Ecoute Active… Il était donc là, son point sensible : une formation « obligatoire », ok, mais surtout dans une promo de « jeuns », à deux pas de la retraite… avec tout ce que cela implique en termes de changements dans une vie… en termes de deuils. Ceci dit, l’abcès était percé. A partir de ce moment-là, Didier s’est impliqué dans les mises en situations qui composaient le cœur de cette seconde journée. Il débriefait les mises en situations, au point que je n’avais parfois plus rien à ajouter. Bref, il occupait enfin sa place, au service du Tout, de chacun et de lui-même. Il était enfin reconnu par ses pairs comme un expert ; car l’âge et l’expérience n’ont décidément pas de prix.
Improvisation et lâcher-prise
07-02-2023
Improvisation et lâcher-prise
A l'occasion d'une demi-journée de séminaire d’équipe dont l'objectif était de partager tous ensemble une expérience différente, originale et fun, et d’en retirer « quelque chose », j'ai proposé l'atelier "Lâchez prise ! Ou pas", qui me permet, à travers la découverte de cet ingrédient essentiel à l’improvisation qu’est le lâcher-prise, de visiter les dites compétences au niveau individuel, relationnel et systémique. Le manager avait pensé au théâtre d’improvisation parce qu’il souhaitait challenger ses collaborateurs au niveau des compétences requises par cette discipline : adaptabilité, ouverture, intégration des idées des autres, souplesse... Je les ai invités à se positionner en cercle, épaule contre épaule, et à fermer les yeux pour réciter l’alphabet dans un ordre aléatoire, sans que jamais deux personnes ne parlent en même temps : ils allaient vite, sans tenir compte des autres, et ont dû recommencer l’exercice un grand nombre de fois. Quand je leur ai demandé de respirer pour se détendre et d'élargir leur écoute à l’ensemble du système, comme s’ils ne formaient qu’une seule entité organique, leurs respirations se sont synchronisées… ils ont enfin lâché le contrôle et le mental, et ont pu réciter l’alphabet de A à Z, sans que jamais aucune voix ne viennent se superposer à une autre. Ils avaient gagné. À chaque fois que je propose ce jeu à une équipe qui parvient à réaliser l'exercice, il se met en place un rythme énergétique régulier, qui cadence le jeu et permet à chacun de savoir à quel moment précis il doit s’exprimer. Les jeux que j’utilise dans mes accompagnements, qu’ils soient collectifs ou individuels, sont inspirés des exercices que nous utilisons en tant que comédiens d’improvisation avant un spectacle. Ils nous permettent de mobiliser les compétences dont nous allons avoir besoin pour co-construire des saynètes, sans s’être concertés au préalable : présence ; accueil, grâce à l’écoute des autres et de soi ; et enfin, capacité à proposer à partir de soi et de notre relation aux autres, au service du Tout. Les jeux utilisés par les comédiens d’improvisation et basés sur le lâcher-prise, permettent de développer nos capacités à nous immerger dans une action en lâchant notre mental, pour fonctionner de manière plus spontanée et plus instinctive. Nous sommes alors en capacité de répondre de manière juste à ce qui est train de se dérouler sur scène à l’instant T. Nous jouons au service de nos partenaires et au service du tout, sans même avoir à réfléchir. Nous sommes dans le flow, théorisé par Mihaly Csikszentmihalyi dans son livre Vivre, la psychologie du Bonheur. En coaching, supervision et formation, le lâcher-prise n’est pas une fin en soi. Il invite les participants à explorer leur rapport à un processus donné, et à observer leur capacité à lâcher prise au sein de ce processus, ou pas. De là, à établir des liens avec leur quotidien professionnel, et avec des situations problématiques précises. Ces explorations permettent d’exprimer des croyances, des valeurs, et d’identifier des comportements qui potentiellement engendrent la difficulté exprimée dans une situation donnée. Ensuite, de définir ce qui pourrait être mis en œuvre pour améliorer la situation de départ. Le lâcher-prise n’est pas une fin en soi. Il est une invitation à explorer l’existant à partir de nos sens, pour compléter notre perception du réel et y apporter, le cas échéant, de nouvelles réponses. L’utilisation du corps et des ressentis favorise le déplacement de l’attention et du regard. Il permet d’accéder rapidement à une méta-position, indispensable aux changements de paradigme.
Jamais trop sensible
24-01-2023
Jamais trop sensible
Etre sensible, c’est percevoir le monde via une multiplicité de canaux (cognitif, sensoriel, émotionnel, énergétique). C’est ressentir le réel dans son corps, au point de bugger parfois, de ne plus parvenir à structurer sa pensée. Parmi les personnalités considérées comme particulièrement sensibles par la littérature, on cite communément les Hypersensibles ou Ultra-sensibles, et les Hauts Potentiels, appelés aussi Doués, Surdoués, Surefficients, Philo-cognitifs, Emotifs talentueux, Zèbres… – la liste est loin d’être exhaustive –. Je ne rentrerai pas ici dans l’énumération des caractéristiques des personnalités ultra-sensibles ou à haut potentiel, car la littérature en regorge. Au sujet des HP, ma vision rejoint celle décrite par Cécile Bost dans son livre : Être un adulte surdoué. Je ne rentrerai pas non plus dans le débat opposant les approches quantitatives et qualitatives dont font mention Sophie Brasseur et Catherine Cuche dans leur article Le Haut Potentiel en question. Sensibles, nous le sommes tous. Certains plus que d’autre, peut-être, au point de ne pas parvenir à squeezer les ressentis du corps au profit de l’intellect. Sensibles, tels des éponges, capables de révéler ce qui est, parfois malgré eux, en tant que capteurs intuitifs et subtils. Il suffit juste, peut-être d’oser ressentir. Même si on lui reconnaît des avantages de plus en plus valorisés dans notre société, la sensibilité est souvent synonyme de « fragilité » ou de « faiblesse ». Nous avons encore du chemin à parcourir. C’est normal, parce qu’elle nous chamboule et nous renvoie à ce qu’on ne peut pas maîtriser. Elle nous renvoie à notre vulnérabilité et à notre impuissance. Il suffit d’ailleurs d’observer comment les symptômes d’une (trop ?) grande sensibilité sont souvent considérées comme étant le problème, alors qu’ils sont généralement liés au fonctionnement du système au sein duquel ils s’expriment, ou en tout cas, à l’interaction entre un individu, porteur du symptôme, et le système au sein duquel il évolue. C’est comme cet enfant, que l’on amène chez le psy parce qu’il fait pipi au lit la nuit… comme si le problème, venait de lui. La sensibilité n’est pas que génératrice de difficultés. Ce qui est perçu comme une difficulté, peut aussi devenir une information précieuse et aidante à la compréhension d’un système à l’instant T. La sensibilité, aussi ultra- ou hyper- soit-elle, apparaît avant tout comme un capteur des informations révélées par le sensible. Et si l’on en croit la finesse des perceptions émotionnelle et énergétique, alors considérons ces informations comme précieuses. Jamais trop sensible, non. Car nos sensibilités sont précieuses et peuvent représenter de réels atouts, que l’on soit un professionnel de l’accompagnement, ou non. Il est selon moi important de les valoriser, et pour cela, de s’autoriser à évoluer dans des systèmes où elles ont entièrement leur place. Parfois trop sensible, oui… en ce qu’une très grande sensibilité peut faire souffrir, mentalement et physiquement, et couper le sujet du reste du monde. J’aborderai cette question dans un futur épisode… Quoi qu’il en soit, il important est selon moi de valoriser nos sensibilités en s’autorisant à évoluer dans des systèmes où elles ont entièrement leur place, tout en contribuant à nourrir une pensée sociétale plus complète et plus souple, capable d’intégrer le différent, l’unique et l’inconnu.
Monde sensible : le projet
10-01-2023
Monde sensible : le projet
Nous avons pour habitude d’utiliser soit notre tête, soit notre corps. Or, les activités qui nous invitent à faire coexister les deux dimensions en même temps, nous permettent de placer notre sensibilité au service de notre intelligence cognitive. Laisser place aux ressentis du corps et aux sensations comporte toutefois un risque : celui de laisser émerger nos émotions, et de nous reconnecter à notre vulnérabilité. Je suis convaincue que l’intelligence d’un individu ne se limite pas à sa tête, même si le sensible n’est pas toujours valorisé dans nos systèmes traditionnels. Le mot « intelligence » vient du latin intelligentia, qui désigne l’« intelligence », bien sûr, mais en tant que « faculté de percevoir » et de « comprendre ». Elle consiste à « lire, cueillir, choisir » les éléments du réel pour comprendre le monde à partir de soi. Tout ce qui nous permet de lire le monde est donc « intelligence ». En donnant à ce podcast le titre de Monde sensible, j’ai souhaité réhabiliter le monde des sensations, des ressentis, de la subjectivité. Ce monde perceptible à travers les « sens », donc palpable et bien réel, mais changeant, libre et imprévisible. Un monde qui n’exclut pas les idées et les concepts, mais les teinte de nuances, de souplesse et d’ouverture. En choisissant le titre de Monde sensible, j’ai souhaité rendre hommage à « ce qui peut être ressenti » et donc à la sensibilité, dans le sens de « faculté de sentir ». Sachant que le mot « sensibilité » a aussi pour sens « signification », le « sensible » est selon moi ce qui permet de capter le sens. Je considère le ressenti, bien que subjectif, témoin d’une réalité qui, même si unique parfois, a toute sa place et sa légitimité, tout autant que la réalité identifiable et mesurable, reconnue par tous. Et pourtant, le Monde sensible est décrié depuis l’Antiquité, et désigné par la pensée scientifique de forme dégradée et inférieure du monde « vrai », le Monde intelligible. Il désigne, depuis Platon, le monde des sensations : terrestre, mouvant, éphémère et subjectif ; relié à la sphère du désir et de la passion, et bien éloigné de la raison. Face à lui, le monde intelligible : monde de la raison, de la réalité fixe et immuable créée par Dieu d’abord, puis validée et soutenue par les sciences. Il n’est pas question de suprématie d’un monde sur l’autre. Selon moi, raison et sensible sont complémentaires et indissociables. Si la réalité n’était que constituée de faits et de visible validés par tous, alors il n’existerait qu’une seule réalité. Or, quand nous avons la capacité de ressentir le monde, quand nous percevons la réalité « palpable », et que nous sommes aussi en mesure de la « palper » par des canaux sensoriels émotionnels ou énergétiques, alors il est difficile de se limiter au visible. Cette capacité à capter l’invisible, c’est la sensibilité, qui est bien réelle, puisqu’elle se base sur nos « sens », mais qui est à la fois subjective, spécifique, mouvante et insaisissable. Parce qu’elle ne peut pas être fixée, parce qu’elle est incertaine, elle fait peur. Protégeons-nous derrière nos certitudes ! Je souhaite, grâce à ce podcast composé d’autant d’espaces-temps de témoignages et de partages, donner à voir le déploiement de personnalités sensibles à un instant T, le temps d’une séance de coaching, de supervision, d’un module de formation ou d’une simple interaction. Je souhaite que chacun puisse, s’il en ressent le besoin, se réconcilier avec son fonctionnement spécifique, jusqu’à affirmer sa manière toute particulière d’appréhender le réel, de comprendre et d’exprimer le monde. D’occuper enfin sa juste place, pour que le Monde sensible puisse venir nourrir et complexifier la pensée cognitive, trop souvent souveraine à mon goût. Pour un monde moins binaire, moins exclusif, moins rigide, moins catégorique, peut-être. Prêt à intégrer davantage le différent, l’incertain et l’imprévu.