Lâcher-prise et intention

Monde sensible

13-02-2024 • 6 minutes

En improvisation théâtrale, nous jouons « à l’envers ». Nous découvrons l’histoire que notre personnage est en train de vivre et nous découvrons notre personnage au fur et à mesure que l’histoire avance. Ce qui nous permet d’improviser, c’est notre cadre de sécurité. Quand nous nous lançons dans une improvisation, nous choisissons une intention, une émotion, que nous incarnons de la manière la plus claire possible. Ainsi, nous mettons rapidement en place une relation émotionnelle avec notre partenaire ou nos partenaires de jeu, chargés eux aussi de leur propre intention. Conjointement, nous laissons émerger la matière avec laquelle nous allons pouvoir jouer. Les mots que nous exprimons sont en lien direct avec ce qui est. Ils nous révèlent le pourquoi du comment, précisent la nature de la relation, le contexte, les enjeux individuels et collectifs, les secrets et les fragilités des personnages… qui ne sont, bien entendu, pas préparés à l’avance, mais se révèlent à nous au fur et à mesure.

Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix en improvisation. Il n’y a que des intentions... que l’on assume, incarne et alimente. L’intention, en improvisation théâtrale, c’est la posture dans le monde des accompagnants, que l’on soit coach, consultant, formateur, facilitateur, manager, dirigeant. En improvisation, notre intention pose le cadre de notre personnage, de notre jeu, donc d’une partie de l’histoire. D’une partie, seulement, car la scène improvisée comprend autant de parties que de comédiens sur scène. Il nous faut donc incarner une intention tout en laissant chacune des parties prenantes incarner la sienne. Ce concept est à rapprocher de l’assertivité. L’assertivité, c’est notre capacité à nous affirmer, sans – familièrement – défoncer l’autre. C’est s’inscrire dans un juste équilibre de la relation, pour que 1+1=3, comme on dit, et non 1+1=MOI. Un premier pas vers l’Intelligence Collective… Or, c’est souvent « tout » ou « rien » : soit je me plie, en me disant « Bon, tant pis pour cette fois… » ou « Je n’ai pas le choix, le client est roi… », soit je lutte, en volant dans les plumes de mon interlocuteur, ou à minima en lui opposant résistance. Il me vient l’image d’un bras de fer, où l’on pousserait comme un sourd tant que l’adversaire ne flanche, dans un mouvement d’abandon total. Le lâcher-prise, pour moi, et pour reprendre une image assez proche, c’est plutôt le jeu du stylo où deux individus tiennent le même stylo en poussant chacun avec son index sur l’une des extrémités. Si la pression est trop forte, des deux côtés, alors le stylo glisse, et tombe. Si la pression ne l’est pas assez, alors le résultat est le même. Pour que les deux individus puissent maintenir le stylo en équilibre et avancer, effectuer des figures libres, pour les plus audacieux, alors il faut que chacun exerce une pression adaptée à la pression de son partenaire de jeu. L’improvisation, les relations professionnelles, surtout pour les garants du cadre, fonctionnent ainsi. Si notre « intention de » est trop forte, à trop vouloir pousser, nous inviterons notre client ou notre collaborateur à pousser à son tour, au point, parfois, de briser la relation. Si nous ne poussons pas assez, alors nous resterons dans une sorte de ventre mou, un entre-deux où le mouvement et l’action seront ralentis, empêchés. Si, en revanche, nous parvenons à placer notre juste intention, et à pousser sans trop forcer, à lâcher sans nous désengager, alors nous laisserons l’autre occuper sa juste place, en fluidité et efficacité.