De la demande au besoin

Monde sensible

19-09-2023 • 8 minutes

Conseiller indépendant depuis 6 ans, il m'a sollicitée pour mieux "gérer" ses émotions : « Je me mets souvent en colère, je suis irritable. Je m’engueule avec mon fils, ma fille. Je suis insupportable avec ma femme, la pauvre. J’imagine qu’il existe des techniques pour mieux gérer ses émotions ? » Il se trouvait trop sensible, et cette sensibilité l'invalidait.

Même si je remarque des sensibilités plus ou moins exacerbées d’un individu à l’autre, je ne pense pas que la sensibilité et nos réactions soient un problème en soi, mais plutôt des informations sur nos interactions et les systèmes avec lesquels nous interagissons ou dans lesquels nous évoluons.

Nous avons justement exploré sa demande de départ qui était, je le rappelle, une meilleure « gestion » de ses émotions. Comme il arrive bien souvent en coaching, son besoin se précisa lors de notre troisième séance. En tant qu’indépendant, il fournissait une quantité de travail énorme pour des résultats qu’il jugeait insuffisants. Il n’avait plus de temps pour lui et se sentait épuisé, à fleur de peau. Une fois chez lui, le soir, il ne supportait plus rien ni personne, et se « prenait le bec » avec toute la famille. Nous avons travaillé sur ce qu’il se souhaitait pour les années à venir, et sur ses besoins financiers en lien, sur ses priorités. Au fil des séances, sa décision de revenir à un poste de salarié, après revalorisation de son expérience, se confirmait. Un jour, alors que nous nous penchions sur une éventuelle postulation, il s’exprima en ces termes : « C’est fou qu’on soit partis aussi loin… que je sois venu vous voir pour mieux gérer mes réactions émotionnelles, et qu’on en soit à parler de mon nouvel avenir professionnel… »

Etrange, effectivement, que l’on puisse exprimer un inconfort, voire dans certains cas une souffrance, pour arriver au constat que l’inconfort ou la souffrance ne nous sont pas inhérents… Il semble pour certains plus facile de se remettre en question, voire parfois de s’auto-flageller, plutôt que de remettre en question l’équilibre qu’ils ont créé, même si celui-ci leur ponctionne de l’énergie ou ne leur convient plus. L’insatisfaction, l’inconfort, la souffrance, les sur-réactions, voire parfois la maladie ne sont « que » des informations. Alors plutôt que de naviguer entre deux extrêmes : « C’est moi le problème », pour les plus empathiques ou « C’est eux le problème », pour les plus têtus, pourquoi ne pas interroger le système ? Celui que nous formons ensemble, les uns et les autres, et dont nous sommes co-responsables à 100% chacun, pour reprendre les propos de François Balta : « La co-responsabilité n’est pas de 50% chacun, non, mais bien de 100% chacun. » Pour un dirigeant, appréhender son entreprise avec suffisamment de hauteur, revient à reconnaître et valoriser cette co-responsabilité. Déplacer le regard du symptôme au système me semble indispensable pour ne pas se limiter à un constat individuel : «Je suis trop sensible», «Tu es trop gentil»… «Il est vraiment très con.» Ces étiquettes, outre le fait de simplifier le réel, nous figent dans des croyances stériles. Oui, «je suis trop sensible», peut-être, et donc ? De quoi ai-je besoin pour faire avec dans un environnement donné ? Ou que puis-je modifier dans mon environnement pour me permettre de mieux vivre ma sensibilité spécifique ? L’une des qualités ou compétences à développer est selon moi notre attention à ce qui est : pour soi, pour l’autre, pour nous. Et peut-être aussi la capacité à reconnaître la justesse. Parce que si je suis à l’écoute de moi-même, de l’autre et du système que nous formons, alors je serai en mesure de percevoir le moindre grain de sable ou le moindre nuage. Et ainsi réajuster mes mots, mon comportement et mon action, pour tendre vers le Beau et l’harmonieux.