Tous les professionnels qui accompagnement et conseillent, au sens large, posent des questions. Le questionnement, s’il est bien maîtrisé, est un Art, paraît-il. Une question fermée, empêche le débat, réduit l’expression, ferme la discussion. Utile par moment, elle a le mérite d’aller droit au but, car la réponse attendue est un « oui » ou un « non ». La question alternative invite au choix : « ça ? » ou « ça ? » Le graal du questionnement est la question ouverte. Celle qui offre à notre interlocuteur la possibilité de parler. D’exposer sa propre pensée. De choisir ses propres mots. Le questionnement permet de « tirer le fil ». J’ai l’image d’un long fil sortant d’une bouche et que l’on tirerait pour le dérouler à l’infini. Ou presque. Car quand le cœur d’une réponse ou d’un sujet est atteint, ce fil bloque, comme bloquerait le fil d’une canne à pêche dont l’hameçon aurait été saisi par un gros poisson. Et pourtant, même un questionnement ouvert requiert une juste intention. Car l’outil, seul, ne suffit pas. Une nouvelle fois, si notre volonté est d’obtenir une réponse précise, un acquiescement, voire une capitulation, alors nous prenons le risque de créer une résistance, et d’obtenir ainsi précisément l’inverse de ce que nous visons. D’ailleurs, en formation, il m’arrive régulièrement de faire remarquer aux participants que leurs questions, bien qu’ouvertes, provoquent une méfiance, une fermeture, ou en tous cas, n’obtiennent pas les résultats escomptés. Parce que parfois, les questions que nous formulons sont lancées en direction de l’interlocuteur comme autant de boulets de canon. Pas forcément dans le ton, mais dans leur contenu. Imaginez une forteresse, au centre, avec une dizaine de canons placés tout autour, en cercle. Chaque boulet envoyé vers la forteresse l’attaque depuis un angle différent. Même formulé avec la plus grande des douceurs et le plus grand des respects, un questionnement adressé de manière circulaire est chargé d’intention : il cherche, depuis l’extérieur, à pénétrer dans les méandres de l’esprit, au lieu de se contenter de titiller l’esprit, pour en laisser jaillir ce qu’il est prêt à exprimer. De la même manière, en improvisation théâtrale, il arrive que nous soyons enfermés dans notre représentation mentale de l’histoire qui est en train de se jouer, et que nous ne parvenions pas à lâcher prise. Dans ce cas là, nous ne sommes ni à l’écoute ni au service de ce qui est en train de se passer. Nous allons chercher dans notre réflexion les éléments qui pourront nous aider à avancer dans l’histoire. Donc, nous cherchons inconsciemment à maîtriser l’histoire. Le questionnement répond au même principe de fluidité, de justesse, de simplicité. Le questionnement n’est pas une attaque de boulets de canons positionnés de manière circulaire, mais une rivière dont chaque question serait un rocher. Questionner pour inviter l’autre à exprimer sa réalité, c’est sauter de rocher en rocher, au fil de l’eau et des réponses données. Pour cela, encore une fois, il faut parvenir à lâcher-prise. Abandonner ce qu’on est venu chercher. Accepter de se laisser surprendre… embarquer ? Non, j’en ai déjà parlé. Si le questionnement se déroule à l’intérieur de notre cadre de sécurité, alors aucun risque de laisser déborder. A nous de parvenir à nous laisser bercer, depuis les rebords de notre cadre, strict et précis, jusqu’au cœur de ce qui émerge et de ce qui est. Comme une valse : un doux mouvement, délicat et mesuré. Quand je propose des exercices sur le questionnement, les retours sont généralement les mêmes : « C’est difficile de se laisser porter. Rebondir sur ce que dit notre interlocuteur nous oblige à écouter et à oublier là où on veut aller. Du coup, on pose des questions auxquelles on n’aurait pas pensé, ou qu’on n’aurait peut-être pas osé poser. »