C'était un atelier ayant pour thème « Prendre la parole en public grâce aux techniques du théâtre d’improvisation », destiné à un groupe de femmes entrepreneures et salariées. La prise de parole devant auditoire ou en animation cristallise selon moi notre rapport au regard de l’autre, à l’image que l’on souhaite renvoyer, et à la perception que l’on a de soi-même. Derrière chaque attente, a souvent une projection de ce que devrait être sa propre prise de parole en public. Les performances des speakers américains sont souvent cités en exemples… il est question de cacher son stress, mieux « gérer » émotions, de sorte à renvoyer un sentiment d’assurance et de confiance intra personnelle. Nous avons tendance à imaginer une manière de communiquer à l’oral qui soit performante, efficace, captivante… Ouf ! Quelle pression ! Et si c’était justement cette pression d’un résultat frôlant la perfection qui nous faisait perdre nos moyens ? Je les ai invitées à explorer ce point d’équilibre entre concentration et détente. Cet endroit à la fois précis et fragile, où nous sommes en capacité de lâcher-prise, pour laisser émerger de nous les mots, la gestuelle et la posture justes, porteurs de la juste intention que nous souhaitions exprimer. L’une d’entre elles a exprimé : « Les mots sont sortis tous seuls. Je n’ai même pas eu à réfléchir. J’ai dit ce qui venait. » Prendre la parole en public, selon moi, c’est avant tout la capacité à être en présence, ici et maintenant, conscient de soi et de ses émotions, en relation avec les êtres humains qui nous observent et nous écoutent, avec l’intention de leur donner à capter le cœur de chaque phrase, de chaque mot. C’est une danse, en fait. Même si l’orateur est le seul à parler, son message n’a de sens que s’il est entendu, appréhendé dans l’entièreté de l’instant.
Le lendemain de cet atelier, des photos immortalisant l’instant ont circulé. Sur l’une d’elles : moi, debout, les bras le long du corps, en écoute ; simple, juste posée là. Et soudain, une émotion : c’est ma propre vulnérabilité qui me touche. Animer un atelier avec le cœur. Ressentir la pression de « il faut que » puis la laisser passer. Me concentrer sur elles, leurs attentes, leur sensibilité. Le cœur me guide, et me fait oublier mon exigence de paraître compétente et sûre de moi. Parce qu’au final, on s’en fiche. Ce n’est pas le paraître qui compte. C’est l’intention, le cœur et les tripes que j’y mets. Si je prends la parole pour transmettre les valeurs qui me portent, alors elles me porteront, et je serai juste bien avec ça. Ne plus chercher à paraître parfaite, en maîtrise, sûre de soi, en total maîtrise de ses émotions. Au contraire, il s'agit de laisser sortir cette énergie qui est dans mon corps au contact des autres. J’ai besoin de bouger, de me contorsionner en même temps que je dis et que je ris. Et ben vas-y , bouge ! Contorsionne-toi ! Dis ! Ris ! Vis ! Les autres se diront peut-être que tu es zarbi ? Et bien quoi ? N’est-ce pas normal d’être interpelé quand on rencontre la Liberté ? On la voit si peu souvent qu’il nous arrive d’en oublier les contours. Et pourtant, elle est là, en chacun de nous, toujours. Mais on la contient, parce qu’on sait, au fond, qu’elle fait peur. Ou à minima qu’elle suscite la surprise et la curiosité. Donc qu’elle attire les regards, qu’il va falloir assumer.
Alors… prendre la parole en public pour se conformer ? Travailler une gestuelle et une communication calibrées ? Ou kiffer, ex-primer, faire sortir de soi ce que l’on a pour habitude de comprimer ? On se retient déjà, toute la journée. Sentons-nous libres, nonbpas d’être toujours au top et dans la fluidité, mais surtout, d’identifier, debchoisir et de construire le cadre sécuritaire dans lequel nous parviendrons, si nous le souhaitons, à danser.