Il y a plusieurs années, j’animais une formation collective de trois jours sur la communication managériale. Au lancement de la séance, je me suis présentée. J’ai dû prononcer quelque chose comme « coach… Team building… » et peut-être un troisième anglicisme qui a fait déborder le vase. Alain – c’est le nom que je lui donnerai – a littéralement explosé. Je ne me souviens plus aujourd’hui du contenu exact de son explosion verbale. Je me souviens juste du niveau de violence perçu à ce moment-là. J’ai sans doute commis une erreur en répondant, au lieu de questionner. Je lui ai fait remarquer que j’utilisais le vocabulaire de ma profession, empreinte de culture anglo-saxonne. Que le mot « coach » nous venait de l’anglais, certes, mais que ce terme avait pour origine le mot coche, emprunté au français par l’anglais au XVIème siècle, et revenu ensuite sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Je précisai que ce phénomène d’emprunts et de mouvements des mots existait depuis la nuit des temps. Que selon moi, nous ne pouvions pas y faire grand-chose, si ce n’est cloisonner davantage, dresser de hauts murs et des barbelés pour empêcher les libres échanges. Ensuite, j’ajoutai que le thème de la formation était la communication au service de leur management, et j’en profitai pour formuler mon premier feedback. Le deuxième jour, j’ai proposé au groupe un exercice que j’appelle le duel. Cet exercice permet à ceux qui en font l’expérience d’observer leur propre posture en relation, dans une situation sans, puis avec enjeu. J’utilise ce jeu pour introduire le concept d’adaptabilité managériale. Quand le tour d'Alain et de son partenaire est arrivé, le jeu avait viré au carnage : ils n’arrivaient pas à se synchroniser, parce qu’Alain, focus sur ses pieds, ne parvenait pas à entrer dans la fluidité d’un mouvement co-construit avec son binôme. Alors je me suis levée, j’ai fait signe à son partenaire de bien vouloir me laisser la place, et je me suis approchée de notre pauvre bougre. J’ai posé mes mains sur ses épaules, délicatement, et je l’ai accompagné comme le ferait un professeur de salsa, pas à pas. Très vite, il a compris. Nous avons joué, avec une complicité particulière. Nous avons réussi, ensemble. Il a exprimé les liens entre ce qui venait de se passer et le fait qu’il n’avait pas, lui, la patience d’accompagner les jeunes collaborateurs « en galère ». Il s’est suggéré d’être plus à l’écoute de leurs difficultés, de les interroger pour aller les chercher là où en étaient. La représentation que nous avons des choses, nous est tellement personnelle ! Nos réactions parlent de nous, et bien souvent de nos peurs. En début de formation, quand nous co-élaborons notre cadre relationnel, les participants expriment systématiquement leur besoin de « non jugement » de la part du groupe. Je ne suis pas sûre qu’il soit possible d’être dans le non jugement sur commande, en toutes circonstances. Toutefois, j'invite chacun à identifier ce qui l'amène à juger, et donc à réagir… et malgré les émotions, à rester ouvert à ce qui est. A écouter, accueillir. À imaginer que, même si ça paraît étrange, surprenant : ce qui est, pour l’autre, est. » Facile à dire, bien sûr, et pas toujours facile à mettre en pratique. Et en même temps, sommes nous toujours obligés d’accueillir ? Devons-nous toujours éviter de juger ? Si l’accueil devient injonction, nous amènerons tôt ou tard le système à buguer. Selon moi, il est surtout important d’être conscient des effets que nous produisons à un instant T. Pas de tout contrôler, pour avoir toujours la meilleure réponse. Etant donné que, «tout système non régulé engendre l’inverse de ce vers quoi il tend», il est possible que plus je redoute un comportement, une situation, un résultat, parce que je les juge négatifs, et plus il est possible que je les rencontre, justement, voire pire, que je les engendre par mon comportement, à cause du fait même que je les combats. Chaud, hein ? Alors que faire ?