Libres et responsables

Monde sensible

30-05-2023 • 8 minutes

« Il faut vous responsabiliser ! » : une injonction paradoxale entendue il y a quelques jours. Le fameux « Faites ce que je dis… » C’est comme l’histoire de ce professionnel de l’accompagnement qui accompagne les autres dans leurs difficultés, sans jamais songer qu’il aurait bien besoin, lui aussi, d’un accompagnement. « Il faut vous responsabiliser ! » : une injonction prononcée par un professionnel à l’encontre d’un groupe de professionnels. En une phrase, ils avaient tous 4 ans et demi. Et pourtant, son injonction ne partait-elle pas d’une bonne intention ? Il arrive bien souvent que les meilleures de nos intentions provoquent précisément l’inverse de ce que nous cherchons à mettre en œuvre ou à insuffler. Difficile de responsabiliser, donc. Il y a quelques années, j’ai animé une formation à la communication managériale. La direction se plaignait de comportements infantiles. J’ai proposé au groupe le jeu déjà décrit dans le troisième épisode de ce podcast, qui consiste à réciter l’alphabet les yeux fermés, en groupe. À peine la règle énoncée, l’un d’entre eux m’a lancé : « Et si on refuse de le faire, ce jeu ? » Je lui ai répondu qu’ils étaient libres de ne pas jouer à ce jeu, mais que je trouverais ça dommage, parce qu’ainsi ils n’auraient pas l’occasion d’expérimenter ce que j’avais envie de leur faire expérimenter. Et qu’il s’agissait, selon moi, d’une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie. Ils m’ont regardée, et ils ont joué. Il est selon moi possible de s’approprier un cadre, à partir du moment où l’on se sent libre d’y entrer ou pas. Dans les métiers de l’accompagnement et du conseil, se joue selon moi le principe de responsabilisation. Quand j’interviens en supervision de coachs ou en séance de déblocage d’un cas client avec un professionnel du conseil, il m’arrive d’entendre que la situation n’avance pas, que l’accompagnant a l’impression de ramer et ne comprend pas pourquoi. Notre influence sur les systèmes avec lesquels nous interagissons est réelle, même si elle est parfois tellement subtile que nous ne nous sentons pas responsables des résultats que nous obtenons. Il y a peu, un agent immobilier me racontait qu’il lui est déjà arrivé d’organiser plus de 40 visites pour une maison qu’il ne parvenait pas à vendre. Il sentait bien que le propriétaire devait changer quelque chose, et lui avait déjà fait des préconisations en ce sens, mais rien ne semblait bouger. Comment accompagner le propriétaire, un homme âgé ayant vécu plusieurs dizaines d’années dans cette maison, à en faire le deuil, pour pouvoir se remettre en mouvement et mettre en place les changements apparemment nécessaires pour vendre ? Et si ce « frein » à la vente était un prétexte inconscient pour faire perdurer la relation entre le propriétaire, plutôt isolé, et son agent immobilier ? Quels bénéfices avons-nous, en tant qu’accompagnants, à ce que nos clients aient besoin de nous ? L’idée n’est pas de neutraliser les nombreux phénomènes qui influencent nos relations, qu’elles soient professionnelles ou personnelles, mais de les porter à notre conscience pour pouvoir les exprimer, quand cela est possible et nous semble pertinent. Parce que prendre conscience de ce qui se joue pour nous au sein d’une relation, c’est déjà prendre du recul et ne plus subir les symptômes. Responsabiliser, c’est incarner un cadre que l’on s’est soi-même approprié avec sens, et le présenter à l’autre en donnant à voir les valeurs et l’intention que l’on y met... Et puis, le laisser libre. Responsabiliser, c’est ce juste équilibre entre exigence et confiance…