Souvent, on pense que pour improviser, il faut avoir de l’imagination, qu’il faut être créatif. En réalité, non. Il suffit de savoir faire simple, évident, juste. Et si cela peut sembler peu, en réalité, c’est déjà énorme. Mais nous avons tellement l’habitude de devoir produire plus, faire mieux, innover sans cesse pour nous démarquer, que nous oublions parfois que la simplicité est bien souvent synonyme d’efficacité. À trop vouloir faire différent, original, unique, nous passons quelques fois à côté de la véritable performance créative. Nous oublions aussi que nous avons des croyances et des représentations, et que notre représentation de la créativité et notre rapport à la créativité nous portent, ou nous limitent.
La créativité naît de la rencontre entre la simplicité du réel, du logique, du cohérent, du connu et l’originalité, l’unicité de notre univers. En improvisation théâtrale, notre univers spécifique s’exprime à travers les personnages que nous choisissons de mettre en scène, avec leurs caractéristiques particulières. La rencontre de cette intention de jeu qui est la nôtre, avec la logique globale de la scène, la cohérence globale, permet à la troisième voie d’émerger. Cette troisième voie, c’est l’œuvre, le fruit de notre créativité.
Etre créatif, c’est être en capacité de faire des liens entre les choses, les idées, et donner à voir ou à entendre ces liens spécifiques à notre manière de traiter l’information. Tout le monde est en capacité de faire des liens et tout le monde fait des liens de manière spontanée. En revanche, il est vrai que nous sommes plus ou moins entraînés à lâcher-prise pour laisser émerger ces liens, qui paraissent parfois bien surprenants… aux autres et à nous-mêmes. J’aime croire que nous sommes tous créatifs, mais que certains ont simplement perdu l’habitude de faire émerger ces liens et de les exprimer.
Certaines personnes pensent ne pas être créatives, ne pas être capables de créer, par manque d’idées. A l’inverse, d’autres se considèrent « très » créatives, et souhaitent tellement afficher leur originalité, qu’elles n’hésitent pas à créer à tout prix, quoi qu’il en coûte… à leur entourage. D’où, peut-être la réputation des artistes d’être dénués de cadre et de rigueur… d’où, peut-être, le fait que le mot « artiste » soit utilisé, dans certaines entreprises, en guise d’insulte.
Paradoxalement, c’est quand un comédien cherche à être original dans une improvisation, qu’il prend le risque de « larguer » ses partenaires. Parce que quand on souhaite être original, généralement, on fabrique, on invente, on imagine. Quand on imagine, on est dans sa tête, dans son mental : on maîtrise, on oriente, on pousse au chausse-pied ou on tire au forceps… On cherche à agir sur l’histoire, alors que toute la subtilité de l’improvisation réside dans le fait de « laisser émerger ce qui est », en temps réel, tout en intégrant le réel, le cadre des éléments déjà posés. Il ne s’agit pas forcément de trouver l’idée géniale, de se montrer hyper créatif, mais de savoir œuvrer au service de la cohérence de l’ensemble.
Que ceux qui se pensent a-créatifs se rassurent (si tant est qu’ils aient une perception suffisamment positive de la créativité pour apprécier le fait d’être rassurés sur ce point) : s’ils pensent avoir un sens de la logique trop développé pour pouvoir être créatifs et créer, il n’en est rien. Ils ont déjà le sens de la cohérence. Il suffira pour certains d’explorer leur capacité à associer des idées en apparence opposées. Oser s’ouvrir à ce qui diffère, surprend, déroute, perturbe et remet en question. Pour d’autres, de dépasser leur crainte de ne pas maîtriser, de produire un résultat juste « moyen » ou pire, banal. La créativité, l’innovation et l’invention fonctionnent à partir du moment où elles font simple, juste et vrai.